Tout d'abord, chers Amis lectrices & lecteurs, mes Voeux pour 2015
illustrés par cette image de costumes & métiers d'autrefois à Malte
Et pour commencer l'année en s'affranchissant un peu de la trop pesante Actualité - histoire de prolonger la "Trêve de Noël"- un texte que j'exhume de quelques fichiers miraculeusement sauvegardés de mes désastres informatiques, rédigé il y a une bonne dizaine d'années, et mis à jour en quelques lignes finales.
Il avait été conçu - théoriquement, il pourrait l'être encore - comme le premier chapitre d'un ouvrage ayant pour titre " Paris par la traverse ", traversée de Paris qui serait surtout un clin d'oeil à notre expression algéroise d'antan : " Aller à Chéragas par la traverse ", itinéraire vagabond et humoristique. Ici, il s'agirait d'évoquer cette ville qui a soulevé en moi des passions fiévreuses, entre colères et adoration, rage et admiration, et qui, en moi, n'en finit pas d'entretenir avec ALGER des relations houleuses et passionnelles...
Pourquoi avoir commencé par les Champs Elysées ? Et pourquoi pas ? Question d'inspiration...Quartier plus aisé à évoquer peut-être, en tranches précises de souvenirs distincts, comme un anti pasto, avant ceux des Grands Boulevards, des Halles et du Quartier latin ( ce dernier, le plus lié à...Alger sur le plan de mon histoire personnelle ). Et sans omettre le XV°, lié lui à l'Exil, et celui des Buttes Chaumont, qui vit une période heureuse..
Mais...chaque chose en son temps, n'est-ce pas? Ce temps qui m'est compté, et qui ne verra peut-être pas la suite de cette histoire: alors, autant vous livrer ce qui n'a d'autre mérite que celui d'exister...
PARIS PAR LA TRAVERSE
LES CHAMPS ELYSEES
It’s a long way to Tiperary...it’s a long way to go....Non, je ne suis pas un touriste anglo-saxon, encore moins un sujet de Sa Très Gracieuse Majesté ! Je remonte seulement cette Avenue que l’on dit la plus belle du Monde, et mes jambes musclées de jeune cycliste algérois, à la foulée pas précisément ample, n’en finissent plus de remonter ce faux - plat exténuant, qui se creuse au fur et à mesure en vraie pente. Alors, pour me donner du cœur à l’ouvrage, je scande mes pas au son de la célèbre marche, entendue là-bas, de l’autre côté de la mer, pendant les années de guerre, années d’enfance…Mais dans ma tête, résonne plutôt cet air entraînant du film musical « Nous irons à Paris » , avec toute l’équipe du dynamique orchestre Ray Ventura. Il y est question de « Champs Elysées », et ça colle bien avec mon aventure présente. J’ai vu le film 2 fois au cinéma « Colisée » - tiens, ça rime avec « Champs Elysées » : une fois avec mes parents, et une fois tout seul. Il faisait très beau, on entendait les sirènes des remorqueurs et des bateaux manoeuvrant dans le port, juste derrière l’Hôtel Aletti, dans lequel s’insérait le cinéma - théâtre. Paris était loin, comme une Olympe inaccessible. C’était l’époque où mon rêve quasi obsessionnel était de découvrir cette si proche et si mystérieuse Mère - Patrie, et son cratère infernal et divin, ce monstre mythologique appelé Paris. Il fallait ruser comme Ulysse pour l’approcher sans se faire dévorer tout cru, tous os broyés dans sa mâchoire dantesque. En murmurant ma chanson, je rendais inconsciemment un hommage propitiatoire au Roi cyclopéen couronné de monuments inégalables, d’avenues interminables, de palais somptueux , mais aux foules grouillantes comme des insectes, et soit dit en passant, aux mains tachées de sang. Parisiens - Pharisiens, j’entrais dans une zone dangereuse : il me faudrait être sur mes gardes !
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Dieu, que c’est large ! Et je remonte sans cesse vers cet Arc de Triomphe que je ne connaîtrai jamais de l’intérieur, mais cela je ne le sais pas encore, et pour cause ! D’ailleurs, y - a- t - il quelque chose à voir dans cette arche dressée sur un tombeau ? Non, il s’agit simplement d’un autel érigé pour les sacrifices offerts à la Patrie. Et j’imagine les grands défilés au pas cadencé, avec les Zouaves, les Tirailleurs, la Légion…Mais attention, on n’est pas sur le boulevard Baudin ! Dans la partie basse, à travers les allées sablonneuses piquetées de bosquets, où s’étalent quelques pavillons très « Belle Epoque », on se croirait plutôt dans une ville d’Eaux, quelque chose comme Vichy, cette référence absolue des Africains en vacances en Métropole…Pour un peu, on y verrait des sources !
Il y a les jours de soleil, où les terrasses des cafés , bariolées et joyeuses, donnent , sur le coup de midi, une impression de Côte d’Azur, de Méditerranée, étrange reflet d’une rue Michelet étirée au maximum, et les jours où le vent siffle, où la pluie griffe les visages, où tout est gris, façades, chaussée, arbres, devantures et foule, engoncée dans ses manteaux anonymes . Où l’Arc est une vraie pierre tombale. Les cohortes massives qui arpentent le trottoir de droite sont des chenilles processionnaires. Les téméraires isolés qui circulent sur le trottoir d’en face sont des ombres sinistres sur une banquise couverte de suie. Ces jours-là, je remonte comme un zombie, n’ayant même plus la force de me demander ce que je fais là. Molécule dérisoire et inassimilable, j’ai bel et bien été avalé par la Ville, Capitale Ogresse.
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Les passages des premiers temps ne m’ont guère marqué, comme si ces Champs prestigieux s’étaient en quelque sorte trouvés « hors les murs ». En Tous cas, « hors circuit », ce périple de l’algérois, oranais, constantinois en vacances, qui reliait le Sacré Cœur à la Tour Eiffel, en passant par les sacro-saints « Boulevards », où s’égrenaient la Madeleine, l’Opéra, les cinémas et théâtres des boulevards des Italiens et Montmartre, jusqu’aux Portes : Saint-Denis et Saint-Martin, avec, en limites extérieures, Notre-Dame et la Tour Eiffel, ces phares du Bout-du-Monde parisien. Certes, il fallait aussi se rendre au moins une fois aux « Champs », et les remonter, comme on « faisait » la rue Michelet .Mais il fallait trop marcher ! Ce soir, ils brillent de mille feux. Ce qui nous est arrivé, ils s’en moquent. D’ailleurs, ce n’est ni le jour ni l’heure des brillants défilés militaires. Ceux qui ont tiré rue d’Isly….et qui n’ont pas tiré à Oran trois mois plus tard, les premiers, pour nous tuer, les seconds, permettant ainsi qu’on nous tue, n’y traîneront pas leurs guêtres sanglantes et inutiles. Ce n’est plus un « touriste » qui arpente l’avenue, mais une épave détachée du navire qui a sombré l’été d’avant, et que le courant insidieux a poussée vers ce rivage tout illuminé, hérissé de récifs d’indifférence. La Galerie du Lido est en liesse. Impossible d’y révéler sa détresse. J’ai l’âge incertain d’un jeune plus très jeune, et mon isolement total me coupe de la maturité. Je viens aussi de vivre deux ans entre parenthèses, sous l’uniforme qui me retranche des miens, et me voilà ici, physiquement sauvé, en ces lieux qui me nient dans ma réalité profonde. Qui m’annihilent. Je ne sais même plus si je suis vivant. Je suis une apparence, et ce que je fais là n’a strictement aucun sens. Je déteste soudain les Champs Elysées. Mon imper du CCC glisse entre les groupes exubérants et tapageurs. Je n’ai même pas la consolation de leur apparaître comme un reproche incarné. Alors ? Que suis-je bien venu faire dans cette joyeuse galère ? Ma rage muette m’aide à survivre.
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Il y eut des soirs, il y eut des matins. Beaucoup de soirs et de matins. Et ce matin-là, vers les onze heures trente, j’avais rendez-vous. C’était au 73 de l’Avenue, sur le « trottoir - tranquille », à gauche en montant. Je remonte à mon pas de route la rue de la Boétie, après être sorti du Métro à St Philippe - du – Roule. Je fends cette foule mi-active mi-paresseuse qui encombre l’étroit trottoir. Je prépare mon entrevue dans ma tête, et pourtant mon travail n’y est pour rien. J’en suis même aux antipodes. Je viens d’être « promu » au poste de Secrétaire Général d’association, cumulé avec celui de « Rédacteur –en -Chef » du petit Bulletin de liaison qu’elle émet. Et je dois rencontrer le Grand Manitou de « France - Malte ». Pas le Président, mais le nouveau Vice - Président, qui se trouve être le Fondateur de l’association. C’est lui qui a choisi le Président, lui qui m’a fait adhérer, lui qui m’a fait entrer au Conseil d’Administration, lui enfin qui m’a « proposé » de lui succéder au poste de Secrétaire Général., en ne me laissant pas le choix de refuser. Sa botte secrète pour obtenir l’adhésion de son interlocuteur ? Un incontestable sens de l’autorité (ça, on s’en serait douté…), assorti d’un dynamisme enthousiaste assez…irrésistible. Sa profession me fait rêver : il occupe un poste important dans une compagnie aérienne qui a son siège parisien au 73 des Champs Elysées. De là, elle couvre tout son réseau français. Son cœur à elle bat à Rome. La première fois que je suis allé sur la terre de mes ancêtres par la voie aérienne, j’ai voyagé sur ses ailes. Rien que d’y penser, la fréquentation de l’Etablissement qui m’emploie pour traiter ses cas litigieux, et dont le nom, lui, évoque les corons, me paraît un insupportable exil.
Je débouche sur les Champs, que je traverse aussitôt, pour me dégager de la foule. Instinctivement, je lève la tête vers les fenêtres du 5ème étage, puis vers le ciel, au-dessus de l’Avenue, comme si allait y surgir un vrombissant Boeing , guidé par celui que j’appelle le « Group-Captain »! J’entre dans l’immeuble, cossu sans être ostentatoire. Je lorgne au passage vers sa fréquentation – à l’époque, il y a encore des bataillons de secrétaires ! Ce n’est certes pas la première fois que j’ai ces rendez-vous de travail avec Vincent, mais chaque fois que je me rends là-bas, c’est comme si je partais en voyage. Et l’Avenue prend soudain un air de piste d’envol.
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Avec lui les séances de travail sont chaleureuses et brouillonnes, mais tout tourne autour de Malte. Vincent fonce dans toutes les directions, échappe aux sujets qu’il aborde, fait du rase – motte avec les problèmes, et finalement s’irrite de ne pas les voir résolus au fur et à mesure de sa traque. Il a le don de savoir prendre un ton culpabilisateur, avec d’autant plus d’efficacité que pendant que son interlocuteur…interloqué s’efforce de mettre les choses au point, il est déjà parti sur autre chose, vers une autre idée, pour un autre reproche. A vrai dire, il ne pense pas ce qu’il dit. Il jette ses propos par-dessus bord. Il entreprend. Son esprit n’est jamais en repos. L’entretien se termine toujours par un repas. La plupart du temps, on est tous les deux, en un tête - à - tête d’amitié virile, et de communion dans l’amour porté aux îles ancestrales. Vincent redevient alors lui-même, un être flamboyant mais accessible, hyper – méditerranéen, incarnation du fameux personnage héros de « L’Homme de Mer », un des chefs d’œuvre de la littérature algérianiste, avec qui il partage d’ailleurs son patronyme. Comme lui, il a pris Paris à l’abordage, tout en restant, pour ceux qui le connaissent bien – mais ils ne sont pas nombreux- l’enfant des faubourgs poussiéreux et brûlés de soleil des villes d’Afrique du Nord, « au temps béni des colonies » (un jour, il faudra bien ôter les guillemets !). Ces moments se passent dans le brouhaha et la bousculade des brasseries et bistrots des rues adjacentes, où je retrouve l’atmosphère de ruche de mon quartier de travail à l’heure du déjeuner. Mais, parfois, ces repas ont lieu avec d’autres, et là, c’est tout l’univers factice des « Champs » qui débarque. Le monde des voyages, du tourisme, des loisirs. Une Cour se forme, parce que je décèle chez ces jeunes hommes et femmes – les premiers suffisants comme des paons ; ces dernières plus sophistiquées les unes que les autres- des courtisans. Ils disparaissent aussi vite qu’ils sont venus. C’est tout un charabia superficiel qui se déverse dans mes oreilles. Une pyramide de futilités et de faux-semblants pourrait alors s’élever en plein milieu de l’avenue.
Je déteste cordialement tout ce petit monde, avec la véhémence muette de l’assurance d’être parfaitement méprisé par eux. Je songe à Cyrano : « La Haine est un carcan mais c’est une auréole ». Mais pendant ce temps, je fume un « bâton -de- chaise » au premier étage du Fouquet’s, et je ne refuserai pas d’être ramené à St Philippe –du - Roule, où m’attend mon métro, par un de ces malotrus, au volant de son impressionnante voiture américaine – qui, selon ses propres dires, ne lui sert que pour ses déplacements dans Paris intra muros, et qui avoue une consommation en ville dépassant généreusement les 20 litres aux 100…Quel jeu de dupes ! Je me sens dans la peau d’un agent secret infiltré dans le camp adverse. En attendant, je savoure au fond de moi cette promenade royale de 200 mètres, bien calé sur la banquette de cuir vert : l’olibrius a cru me « bluffer » en me ramenant à ce qu’il croit être mon bureau, au volant de son palais roulant, geste royal pour un si petit parcours, dont il d’ailleurs dût faire lui-même la moitié à pied,pour aller chercher son véhicule dans un garage du coin, et que j’aurais évidemment pu terminer bien plus rapidement à pied, vu l’état de la circulation ; c’est tout simplement surréaliste, et je jubile en m’engouffrant à son insu dans les entrailles de la ville vers le « Pt de Sèvres - Mairie de Montreuil »…
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Mais, le quartier des Champs Elysées, vu sous cet angle « maltais », c’est aussi une oasis de vraie « classe », discrète autant que souriante, empreinte de bonhomie raffinée. Notre Président, poussé à cette fonction avec bonheur par Vincent, avide comme bien des français d’Afrique du Nord de s’ancrer à des personnalités qui les bonifient aux yeux de l’opinion publique, est un Bailli de l’Ordre de Malte doublé d’un authentique Prince, au nom célèbre figurant dans les annales de l’Histoire de France. Il préside aussi, ce qui ne gâche rien, aux destinées d’une fameuse marque de champagne. C’est dans les locaux du siège parisien de cette société, connue dans le Monde entier, et plus précisément dans la salle du conseil d’administration, au cœur d’un hôtel particulier situé à quelques pas… du Fouquet’s, côté avenue George V, qu’il offre l’hospitalité aux réunions de notre humble conseil de France – Malte. Réunions feutrées, très amicales, qui me laisseront un souvenir d’âge d’or, comparées aux futures séances associatives que j’aurai à affronter. Elles se terminent invariablement, et en toute simplicité, autour d’une bouteille du champagne maison. J’y apprends à faire connaissance de « cousins » dont je n’avais jamais entendu parler avant l’Exode : des Maltais de Tunisie, pour la plupart de nationalité française, mais pas tous. Outre Vincent, de Sousse, je garde le souvenir ému et admiratif du Docteur Valletta, esprit brillant, et du merveilleux Monsieur Saliba, qui fut le plus grand libraire de Tunis, .chez qui se retrouvaient gens de Lettres et artistes de Tunisie mais aussi d’Algérie, de France, d’Italie, et bien sûr de Malte ! Et l’Avenue, brillante et concentré de « chic » ( cela a bien changé depuis !) ne sert plus que de toile de fond, de décor un peu clinquant, à de petits comités de descendants d’émigrés aux pieds nus ayant tenté autrefois, il y a plus d’un siècle, l’aventure en une Afrique du Nord alors terre de pionniers. Et ces descendants, sans influence, modestement mais avec flamme et opiniâtreté, tentent de renouer les deux bouts d’une histoire interrompue.
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Je remonte les Champs, non loin du 73, débouchant d’une rue transversale. Elles ne sont plus qu’un souvenir, mes visites en ces lieux pour mettre en valeur l’histoire de Malte avec un ami fidèle, et je sors de chez un client avec lequel un confrère m’a mis en relations. Il a des tas de choses mirifiques à me proposer, de l’argent plein les poches, un repas à m’offrir…chez Léon, le roi de la moule - frites…à quelques pas du Fouquet’s. Les temps ont changé. Je suis Avocat. Installé là haut, derrière l’Arc, qui n’est plus de triomphe. J’ai été piégé quelque temps auparavant, séduit par le chant de modernes sirènes, qui m’ont fait lâcher la proie pour l’ombre. Ce client, qui sent son véreux à vingt mètres à la ronde, je vais œuvrer avec doigté pour m’en dégager. Je n’ai rien contre Léon, et je raffole des moules – frites. Mais l’homme, le geste ample, brassant des millions par dizaines, parlant pétrole du côté de chez Moujik, et nouvelle oligarchie politico - commerciale là-bas, très à l’Est, s’est révélé de suite dans sa perversité en me proposant pour ainsi dire expressément d’aller déjeuner avec lui au Fouquet’s, pour, en cours de route, obliquer soudain à hauteur du bistro à moules, un large sourire aux lèvres. Plaisanterie saumâtre ? Pour moi, ce fut le détail qui le perdit d’emblée. Je fus de suite en alerte, et la suite, un certain temps après, devait me donner raison. Comme quoi la Roche Tarpéienne est toujours bien près du Capitole. Les Champs Elysées sont devenus dangereux. Le temps de solitude. C’est la profession qui veut ça. Et sans doute encore plus dans le domaine de compétence qui est le mien, à raison de ma longue expérience précédente. Mais si la matière est la même, la façon de travailler est aux antipodes. Désormais, plus de travail en équipe. Plus de hiérarchie, contraignante mais protectrice, plus de véritable règle du jeu. Le critère absolu, la finalité, c’est le fric. Alors, autour de soi, des « confrères ». Confrère, Faux- Frère ! Je parle bien sûr de ceux qui travaillent ensemble, ou qui sont censés le faire. Le haut des Champs va être le lieu géométrique de cette aventure sinistre, dans ces avenues pompeuses et glaciales, même en été, car le froid vient de l’intérieur. Foch, Victor Hugo, Kléber, sont mon Triangle des Bermudes.
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L’eau du Temps a encore coulé le long de l’Avenue. Je suis en quelque sorte redevenu un « touriste ». Mes visites se font rares, très rares. Paris est loin, désormais. Enfin, sur le plan géographique. Comme les couches géologiques qui nous donnent l’histoire de notre monde les couches de nostalgie s’empilent en moi, qui me parlent de ma propre histoire. Les Champs, je l’ai déjà dit, ne se sont jamais bien inscrits dans mon parcours d’algérois. Il est d’autres coins de Paris où il en est autrement, où je me revois, encore habitant la Ville Blanche. Mais, même sans souvenirs précis de Là-Bas, quand je passe au bas du 73, déserté par ses occupants d’alors, c’est de la nostalgie que j’éprouve. « France - Malte » a disparu. Vincent aussi, qui paraissait indestructible. Le Prince a rejoint ses ancêtres, et l’hôtel particulier qui abritait nos réunions débonnaires a lui-même fait place à un autre immeuble. Même les pierres meurent. ...Alors, vite, il me faut traverser l’avenue, et rejoindre le trottoir animé. Pas pour sa foule bigarrée, mais pour me porter en quelques pas à hauteur du 92 . Là, je lis avec gourmandise une plaque apposée à droite de la belle entrée. « Ambaxxata ta Malta ». Oui, « mon » ambassade, celle de mes indestructibles racines ! J’y suis doublement attaché. En tant que telle, parce que l’Ambassadeur Salvino est mon ami, mais aussi, au plus profond de moi, parce que cet endroit a été déniché, voici des tas d’années, par Vincent, ce coureur des bois de la forêt urbaine parisienne. Il y a même occupé un temps un bureau en qualité de Consul Général de Malte. Je connais bien les lieux, faut-il le préciser ? Aux temps mauvais de mon « triangle des Bermudes », il m’arrivait de descendre l’avenue, vers l’heure de midi, un sandwich à la main, pour aller voir flotter, au balcon d’angle du troisième étage, le drapeau rouge et blanc, frappé de la George Cross grise. Je le fais encore aujourd’hui, en pensée. Sur les Champs Elysées, Malte est à jamais installée.
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Une douzaine d’années, depuis le récit qui précède, m’ont poussé encore plus loin que mes dernières rêveries nostalgiques. L’ Ambaxxata ta Malta a elle-même glissé le long de l’Avenue, du 92 au 50, pour enfin s’éclipser discrètement dans une petite rue voisine. Elle s’y retrouve au calme, mais a perdu cette vue incomparable dont elle bénéficiait sur la prestigieuse Avenue. C’est que la dégradation continue de la qualité de ses vitrines, et plus encore, de celle de sa fréquentation, étaient moins navrantes, moins repoussantes, vues de haut.
Et la nostalgie d’une certaine époque a elle-même rejoint les espaces incertains de la mémoire où s’évaporent les souvenirs.
FIN DE L'EPISODE
On l'aura compris : ce récit égrène et entremêle des souvenirs partant de vacances esivales au cours des années 50 jusqu'au désamour des années 90, en passant par la descente aux enfers de l'exil en 1963... A SUIVRE ?...