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11 avril 2013 4 11 /04 /avril /2013 18:17

 

"Le premier Homme" au cinéma, un non-évènement ? " 

 

C'est en tout cas l'impression qui ressort de l'attitude des "Gros Médias", se partageant entre silence et dénigrement, comme les assassins agissant en groupe se répartissent la tâche. S'il y avait bien un secteur de l'opinion qui pouvait avoir des craintes, tant il fut trompé en ce genre de situation - et continue à l'être, c'est bien nous, les compatriotes et pour tout dire, frères de Camus, membres de la même tribu... Mais, en dépit de notre naïveté congénitale, on a quand même appris un certain nombre de choses, à commencer par l'interprétation " a contrario". Ainsi, l'assourdissant silence sur ce film portant à l'écran le message posthume de notre prix Nobel de littérature, assorti de quelques saillies féroces sur les ondes de la radio d'Etat ( lequel cache de moins en moins, et en toutes matières, son penchant au totalitarisme ), nous a donné à penser que le film ne devait pas être si mauvais.  

 

Nous avons été une dizaine d 'algérianistes d'Aix - en groupe, on transcende ses angoisses - à aller voir ce "Premier homme", avant qu'il ne disparaisse des programmes. Et notre impression tirée de l'hostilité du Mammouth médiatique a été confirmée en tous points.

 

20459850-r 160 240-b 1 D6D6D6-f jpg-q x-xxyxxPoint de manichéisme au service d'une idéologie, ce qui était le plus à redouter quant à l'instrumentalisation d'une simple adaptation du livre-testament de Camus, ce mot " adaptation" permettant toutes les trahisons. Une approche profondément "intimiste " de l'Algérie, se manifestant jusque dans le refus des effets visuels faciles ( pas de "carte postale " d'Alger, mais des "flashs" furtifs, et encore rares, nous permettant de nous y reconnaître ), et dans l'adoption de couleurs pastels, loin de tout "orientalisme" comme de toute violence.  On me dira que tout cela constitue un simple "décor", et que l'essentiel n'est pas là. Certes, mais, ce qu'on appelle " décor " dans notre drame n'est-il pas, comme dans la tragédie grecque, un élément fondamental de l'histoire ?  Qui plus est, le jeu des acteurs se coule parfaitement dans cette atmosphère. Il en ressort une grande homogénéité, et, j'ose le dire, une grande pudeur dans le récit. Les regards, les attitudes, une lenteur voulue, sont aussi importants que les paroles, lesquelles d'ailleurs, dans ce contexte, "portent" bien plus que dans l'agitation, le bruit et la fureur. C'est en un certain sens, un film du " Silence".

 

N'étant pas un expert en cinéma, je ne me risquerai pas à un palmarès entre les interprètes, n'arrivant pas à les dissocier les uns des autres.  Camus - pardon, Cormery - adulte en voyage, exprime une interrogation qui le taraude de l'intérieur, étant à la fois "dedans et dehors" par rapport à la situation, méditatif et déchiré, consumé par l'amour des siens et de cette terre, qu'il sublime en sa mère, qui est superbement interprétée, sans basculer le moins du monde  dans le misérabilisme : je n'hésite pas à dire que pour moi, le film donne une dimension visuelle qui la grandit: elle est certes effacée, , mais plus silencieuse que "muette", et elle a un port de tête, une façon de regarder, qui en fait véritablement une icone.

la grand-mère pourrait être caricaturale, si elle n'était l'exacte incarnation des femmes du peuple méditerranéen de l'époque, d'une implacable rudesse extérieure sans doute, mais d'une droiture sans faille, capable aussi d'être anéantie - la séquence de la recherche de la pièce de monnaie soi-disant perdue par le petit dans le fond de la cuvette des WC, assortie d'une inattendue récitation haletante, suppliante, affolée, du " Notre père " - laquelle n'est pas dans le livre - surprend d'abord, émeut ensuite;  Enfin, comment ne pas citer le jeu absolument extraordinaire du petit garçon incarnant Cormery-Camus enfant ? Il crève l'écran, et se trouve être le pivot de toute l'histoire. Rien que par son jeu, son omni-présence, on sent que le Premier Homme est un poignant retour sur l'enfance.

 

Ajoutons à cela quelques scènes qui nous "interpellent" : Cormery, ayant retrouvé son ancien instituteur ( communiste ) dans un café-maure, devise avec lui sur un banc, au pied du Monument aux morts, qu'on ne voit pas, mais on voit très bien la Grande Poste. L'instit finit par dire que c'est la violence du colonialisme qui explique ( et donc, justifie ) celle du terrorisme : Cormery reste silencieux.  Vers la fin, très attendue, la scène de sa naissance : la carriole sur une piste du bled ( Ô, Louis Bertrand ! ), l'accouchement de sa mère ( superbe jeune femme, telle une Madone italienne ) au milieu des petites mauresques, en chœur antique; la joie et la fierté de son père… Puis, de suite après, Cormery dialoguant avec un colon, figure authentique de pionnier, lequel exprime de façon à la fois rude et profonde le lien instinctif, indélébile, unissant les deux communautés, à travers même et au-delà des violences actuelles, touchant Cormery au plus profond de lui-même, et cela va  amener quelques scènes plus loin, sa fameuse phrase sur la justice et sa mère, citation se terminant sur l'affirmation catégorique, dite d'une voix sombre, qu'il sera l'ennemi de ceux qu'il aime comme des frères s'ils touchent à sa mère...On comprend que les caciques de la Pensée Unique n'aient pas du apprécier...

 

Et puis, le plan final : sa mère, filmée de trois-quart depuis l'intérieur de la pièce, est à son balcon, regardant les mouvements de la rue, dans une lumière presque blanche, surexposée, propre aux atmosphères oniriques...Puis, toujours en silence, elle recule doucement, et referme lentement les persiennes. Le noir se fait, tandis que défile le générique de fin. Instant poignant, fait d'inexprimable, où l’on ne sait plus très bien où on est…

 

 

" Le texte qui précède est un instantané, exprimant un "ressenti" à chaud. Dans le langage des tribunaux, on dirait qu'il relate "une impression d'Audience". il ne s'agit donc pas, on l'aura compris, d'une stricte analyse du film par rapport au roman dont il est une " adaptation ", terme qui laisse entendre ( on pourrait donner de multiples exemples, sur tous sujets ) une fidélité, disons: à géométrie variable, avec le modèle écrit. "

Pierre DIMECH

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