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13 août 2012 1 13 /08 /août /2012 23:46

 

A Irène,  

Au moment suprême, t’es-tu revue, Marguerite en extase, chantant « Anges purs, anges radieux, portez mon âme au sein des Cieux ! », échappant à la fois à Faust et à Méphisto, qui te firent tant de mal ? T’es-tu éteinte doucement, apaisée, comme Mimi dans sa chambrette de « La Bohème », au bout d’une mélodie inachevée ? Ou as-tu regardé par ta fenêtre de La Baule, où l’océan ourle ses vagues vertes, t’envolant en pensée vers l’au-delà de l’horizon, pour retrouver la mer calmée que, toute jeune Butterfly, tu avais chantée au bord des larmes, lors du concours du conservatoire, provoquant celles du public, tendu à se rompre, emplissant la salle de l’Opéra d’Alger ?

 

Irène jaumillot1As-tu tout simplement revu le balcon de ton enfance et de ton adolescence, sous les terrasses ensoleillées de la rue Rovigo, où tu t’accoudais, partition en mains, puisant l’inspiration de ton chant dans la lumière incandescente qui montait de la mer, sur fond d’orchestre de sirènes de navires et de cris d’hirondelles ?

 

J’aime à penser à cette dernière vision, avant l’entrée dans le Grand Mystère, parce que je me dis qu’alors, tu auras peut-être revu, l’espace d’un éclair, la silhouette de ton voisin et ami d’enfance, là , tout près, sur le balcon d’à côté, contemplant le port, guettant l’arrivée du « Ville d’Oran », le départ du « Kairouan », un air d’opéra aux lèvres, accompagnant les voix d’or de Mario Lanza et de Tony Poncet, jaillies d’un tourne-disques complice, qu’il t’avait fait découvrir…J’aurais alors la consolation de t’avoir escortée, Irène, vers le Grand Théâtre de l’Eternité, dans le souvenir de ces années de bonheur indicible. Souviens-toi, tu avais commencé à m’initier aux techniques du chant, en me dirigeant vers des airs de ténor léger un peu trop « sucrés » à mon goût, mais qui étaient le passage obligé pour placer ma voix. Et moi, je t’avais entraînée, privilégiant toujours la force dramatique, sur une tessiture qui n’était pas la tienne, celle de Dalila, l’ensorceleuse, prenant Samson dans ses filets, avec son « Mon coeur s’ouvre à ta voix », et je t’avais donné la réplique : « Dalila, Dalila…Je t’aime !!! », en t’accompagnant au piano. Bien plus tard, on m’a dit que si ton cher professeur algérois nous avait surpris à cet instant, nous aurions eu droit à une vigoureuse remontrance ! Mais j’ai encore ces moments dans l’oreille, instants magiques fixés à jamais dans ma mémoire.

 

Je te précédais de trois petites années, moi l’enfant unique, et toi, avant-dernière en âge d’une ribambelle de frères et de sœurs. Toutes portes ouvertes sur notre palier accueillant, au dernier étage de notre perchoir des Tournants Rovigo, juste sous la terrasse de l’immeuble du 55, qui faisait de ce lieu comme notre domaine privé. C’était pour nous le domaine magique de nos jeux d’adolescents restés enfants.

Et puis, un jour, trop rapidement pour nous, mais à la mesure de ta carrière fulgurante, tu étais partie, auréolée de ce prestige qui semblait nimber Alger tout entière, en cette année 1958, et tu avais pris le chemin redoutable autant que glorieux de la Grande Capitale, et de son opéra imposant, t étant classée première à son concours d’entrée…Tu partais si loin de notre opéra d’oiseaux émergeant du square Bresson, au pied des rues en lacets qui montaient chez nous..Tu allais le conquérir instantanément, ce haut lieu de l’art lyrique, avec ses escouades de critiques, ses guetteurs de défaillances vocales, mais aussi sa salle à nulle autre pareille, qui en faisait un Temple.

 

 

Comme pourtant cela nous paraissait loin de notre jardin secret des hauts quartiers de la ville enchanteresse, creuset méditerranéen aux antipodes des splendeurs empesées des grands théâtres d’Europe…Mais, quelle fierté puis-je encore ressentir aujourd’hui, filtrant à travers mon chagrin, de te compter parmi les gloires de l’art lyrique français, en métropole comme à l’étranger, et de voir ton nom lié à jamais à tous ceux de nos compatriotes d’Algérie, d’Oran à Bône, des grandes villes de la côte comme des villes de l’intérieur, qui ont porté haut notre province, oui, ce que nous pensions naïvement être notre province, la faisant briller d’un éclat solaire, et contribuant à lui donner ses lettres de noblesse !

 

 

Ta disparition, Irène, est pour moi la seconde mort de l’Opéra d’Alger. Mais, tant qu’il me restera un souffle de vie, tu seras toujours en vie toi aussi, et avec nous, notre Opéra magique.

Et tu riras éternellement, Irène, de te voir si belle dans le miroir de notre enfance algéroise.

 

 

                                                                                                           Pierre 

                                                                                                                                                                                                          Octobre 1994,

Après avoir appris le décès d’Irène Jaumillot par un appel téléphonique de sa petite sœur, Marie-France

 


 

Irène jaumillot1"J’ai cette photo depuis Alger. Elle a été prise durant la belle saison, en milieu de journée: il y a comme des vapeurs de chaleur et une vibration de la lumière...Elle restitue cet univers solaire qui était le nôtre.

Elle représente Irène, alors âgée de 17 ans, au temps où elle était encore au Conservatoire d'Alger. Partition d'opéra en mains, Elle se trouve au balcon de la chambre de ses parents qui jouxtait notre salle à manger...Dans le flou ( involontairement artistique ? ) on voit la cascade des terrasses descendant vers la mer, la gare maritime - où se trouve , sur la gauche, un "Transat", qui devait être , soit le "Ville de Marseille", soit le "Ville de Tunis", deux " sister ships" absolument jumeaux...Et en arrière plan, une partie de la jetée Nord, où j'allais me baigner, l'été, avec les copains de lycée, aux Bains sportifs, près de la passe, cette jetée mythique qui a inspiré mon premier livre ( "D'une jetée l'autre" ), et qui accompagnera mes rêves jusqu'à ma dernière heure. Opéra, Eglise St-Augustin et Port d'Alger sont partie intégrante, que dis-je? sont l'essentiel de ma mythologie personnelle. Je viens de les évoquer encore dans mon dernier ouvrage : " l'Homme de Malte", paru le mois dernier, comme une sorte de Testament..

alger opéra

A propos, j'aime à qualifier le théâtre de l'opéra d'Alger " d'opéra d'oiseaux". La raison en est concrète : le théâtre se trouvait face au fameux square Bresson, où nichaient des milliers d'oiseaux, principalement des hirondelles et des martinets. Aux beaux jours, en fin de journée, ils faisaient un "concert" assourdissant, qui montait jusqu'à nos fenêtres....Je les ai encore dans l'oreille, associés aux sirènes des navires, au teuf-teuf des moteurs des chalutiers, au carillon de St-Augustin, et ....aux vocalises des artistes dans leurs loges, au théâtre, lorsque je le longeais...en m'attardant, en fin de matinée, en rentrant du lycée..C'était pour moi un lieu véritablement magique, qui m'attirait comme un aimant."


Pierre DIMECH  le 20 Juillet 2012

 

 

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